Tous les 4 ans, autour de la mi-février, depuis maintenant près d’une vingtaine d’années, une certaine fébrilité m’envahit, et ce, durant une bonne quinzaine de jours. Depuis les jeux de Salt Lake City en 2002, j’ai un attachement absolu envers les jeux Olympiques d’hiver. Pendant ces 2 semaines, j’avais un désir profond de devenir comme tous ces athlètes et d’accomplir ce pour quoi ils s’étaient entraînés pendant des années.
Je me souviens encore de CE MOMENT, aux jeux de 2002, ou le couple Jamie Salé et David Pelletier se sont fait »voler » la 1re place de leur programme long parfait par le couple russe, juste parce que Hey-Oh, le patinage artistique, ce n’est pas du tout une question de préférence des juges et de contacts dans ce monde isolé et superficiel. (Vous l’aurez deviné, je suis une ancienne athlète de patinage artistique)
Dès ce moment, du haut de mes 13 ans, j’aurais dû me douter que ce sport, aussi complet et majestueux qu’il puisse paraître, cache les pires, selon mes valeurs profondes bien entendu, messages que l’on puisse lancer en ce qui a trait à l’image corporelle à notre belle société de paraître. Toutefois, à l’aube de la mi-trentaine, je sais pertinemment que c’est très facile de lire un livre à l’envers.
Pour vous mettre rapidement en contexte, depuis que je sais mettre un pied devant l’autre, j’ai toujours été une petite sportive dans l’âme. Dès mon jeune âge, j’éprouvais maintes fantaisies de performer dans le sport ainsi que d’être reconnu de cette façon. Du film A LEAGUE OF THEIR OWN avec Geena Davis au film SPACE JAM avec Michael Jordan, je me voyais sans aucun doute être une superstar, autant au baseball qu’au basketball, et ce, simplement en jouant avec mes voisins dans le fameux cul-de-sac où j’ai grandi à Rivière-des-Prairies. J’ai toujours aimé le sport, profondément, à l’état pur. Que ce soit les sports individuels ou les sports d’équipe, je les aimais tous. Mes parents, me voyant bien ambivalente à l’idée de faire des choix (un enjeu que j’éprouve encore aujourd’hui d’ailleurs) ont décidé lorsque j’avais 8 ou 9 ans de m’inscrire au patinage artistique.
Et comme tout sport dans lequel j’entreprenais, j’étais bonne, pour ne pas dire TRÈS BONNE. J’ai rapidement cheminé au sein du club de patinage artistique (CPA) de Rivières des prairies et je performais à merveille dans de nombreuses compétitions amicales.
Toujours dans l’optique de m’amuser, bien évidemment (n’est-ce pas ce dont tout enfant de 10 ans rêve, de s’amuser), je comprends rapidement que mes nombreuses conquêtes du podium font rapidement des jaloux. Je me rappelle très clairement encore aujourd’hui, dans une chambre de l’aréna René Masson, ou je me suis fait carrément ‘’bully’’ par la présidente de notre CPA, essayant par tous les moyens de me faire sentir coupable en dénigrant mes capacités sportives afin que je sois moins performante que sa fille qui participait à la même compétition que moi. N’accordant plus ou moins d’importance à cette situation, j’ai naïvement remporté la médaille d’or à cette compétition. Encore une fois, j’aurais dû me douter que le sport ‘’compétitif’’ avait ses enjeux.
Le temps passe, mon talent se multiplie proportionnellement à l’effort que j’y mets quotidiennement. J’entre à l’école secondaire dans un programme sport étude ou je m’entraîne entre 30 et 40 heures semaines dépendamment des semaines et des compétitions à venir. Au grand plaisir de mes parents, je chemine, tout comme mon talent, je grandis rapidement et BOOM, dès l’âge de 15 ans, j’atteins un certain summum corporel en ce qui a trait à la puissance et la performance, J’ai dès lors, la chance de faire mes preuves dans l’école la plus réputée de patinage artistique du Québec. Lors de mon audition, l’entraîneur en chef me regarde patiner une dizaine de minutes, me demande de faire quelques sauts, et constatant un talent inné, m’accepte dans son école sur-le-champ. Folle de joie, mon réseau prend une tangente très différente. Entamant mon secondaire 3, je fais maintenant partie de l’élite québécoise du patinage artistique. Mais cette tangente a teinté l’image que j’avais de moi à tout jamais.
À l’époque, en 2003, j’étais une jeune femme dotée d’une masse musculaire beaucoup trop développée pour une robe à paillettes et un maquillage de scène.
Et ÇA, je me le suis fait répéter, que ce soit directement ou indirectement, par mon équipe d’entraîneur, à maintes et maintes reprises. Il est vrai, j’en conviens, que j’avais des lacunes au niveau de l’aspect artistique (toujours été un p’tit TOMBOY dans l’âme) et du cardio (pas étonnant pour une jeune femme qui avait le gabarit corporel comparable à la skieuse Lindsay Vohn).
Toutefois, mon niveau technique était, sans vouloir me vanter, À POINT. Ce qui est souvent plus difficile à travailler pour une patineuse artistique dite conventionnelle. J’avais naturellement en moi, ce que la majorité des patineuses n’avaient pas. Mais une chose qui me manquait par-dessus tout à l’époque, c’était la confiance en moi, en mon corps et en ses capacités à performer. Et ÇA, dans le sport de compétition, peu importe le sport pratiqué, c’est l’enjeu principal pour une performance qui vous rendra sur un podium olympique.
Petit à petit, entrant dans l’univers de l’adolescence (LÀ où l’humain nord-américain typique pratique et aiguille l’art de se comparer), je me suis laissé imbiber des propos qui laissaient sous-entendre à quel point je serais meilleure et plus performante si je n’étais pas à ce point massive (pour ne pas dire grosse), ce qui, à la longue, à certainement jouer un rôle dans l’image que j’avais de moi.
Je trouve ça très triste parce qu’encore aujourd’hui, j’ai de la difficulté à savoir si un morceau de linge ‘’fit’’ bien avec un autre, si ma coupe de cheveux est à point ou si les sandales que je porte peuvent passer le test d’un doorman, parce que »deep down » pour moi, dans les valeurs que l’on m’a inculquées, ce n’est pas important. Encore à ce jour, je me sens faible d’avoir courbé l’échine face à cette pression du paraître. À la base, je n’avais aucun souci quant à mon image et à ce que je projetais aux yeux des autres.
À la longue, à force d’entendre et de me laisser imprégner par tous ces commentaires invalidants, je suis devenue quelqu’un de tellement obsédée par son image corporelle, telle une vraie star d’Hollywood.
Dès l’âge de la maturité, ma tête ne suivait plus, je n’étais plus assez forte pour continuer. Après une blessure à vélo avant la saison de compétition, une entrée au CÉGEP douteuse et un divorce catastrophique de mes parents, j’ai lâché prise, je me sentais comme une vraie mauviette.
J’ai lâché, et je me suis isolée, parce Hey, j’étais qui moi, à 18 ans si je n’étais pas une athlète de patinage artistique de haut niveau? Rien, absolument rien.
Je me suis isolée, et tout ce que je pouvais contrôler dès lors, c’était mon corps. Prouver au monde entier que l’on peut devenir maigre. Et j’ai sombré, très creux, dans les ténèbres de la boulimie/anorexie. Pendant près de 3 ans, j’ai eu très peu de contact humain par choix et par peur (et par manque d’énergie, soyons honnête).
J’avais mon rituel quotidien que je répétais jour après jour, et mon dieu que cela était réconfortant, tel un câlin sincère de quelqu’un que vous appréciez beaucoup.
Je vous l’assure je n’ai jamais voulu mourir, mais durant cette période plus creuse de ma vie, celle où je me battais quotidiennement avec le nombre de calories que je dépensais, que j’ingérais et que je »flushais » dans le bol de toilette, j’ai déjà eu la pensée que ce serait beaucoup plus facile si j’étais de l’autre côté, afin d’arrêter de souffrir inutilement et afin d’être disponible et bienveillante pour ceux que j’aimais.
Je ne sais pas encore ce qui à fait en sorte qu’à ce jour je m’en suis »sortie »; sommes-nous tous un peu dans un état de transe dans nos pires moments?
J’ai une image claire d’un matin où je me suis pesais, que je me suis regardée dans le miroir et à ce moment précis, c’était assez, je ne pouvais plus continuer à être misérable de la sorte.
Je ne pouvais dorénavant plus être une marionnette de ma propre destinée. Il était hors de question que je me laisse dépérir ainsi. Par la suite, de moi-même et avec mon propre argent en poche, j’ai trouvé et consulté à quelques reprises, un psychologue ainsi qu’un médecin de famille spécialisé en troubles alimentaires.
À ce jour, maintenant à l’âge de 33 ans, je peux confirmer que le patinage artistique à teinter ma vie, de la bonne comme de la mauvaise façon. Le sport de compétition m’a appris à être assidue, résiliente, responsable, tenace et en constante quête de l’amélioration de soi, mais en revanche, j’agis encore de façon à ce qu’on s’attend de moi, et ce que je devrais être, aux yeux de l’autre. Ce problème alimentaire, il est toujours là, je ne vous mentirai pas.
Parfois, il est loin dans le spectre de mon moi-même, surtout quand mon niveau de bonheur est à son apogée, mais parfois, il est assis bien confortablement sur une de mes épaules trop bâties qui ne sont certainement pas celles d’une patineuse artistique féminine et délicate.
Est-ce que l’on se sort de ce tourbillon sans fin? Peut-être que oui, peut-être que non, je n’ai pas la prétention ni la sagesse de me positionner à ce moment, et selon moi, ce n’est pas ce qui est important. Ce qui est important, c’est d’apprendre, à notre façon et à notre rythme, à surfer sur la vague. Comme tout bon être humain qui essaie de se comprendre, d’apprivoiser son propre mode d’emploi et de cheminer dans la vie afin de trouver son propre petit bonheur (qui est loin de celui que notre belle société capitaliste essaie de nous enfoncer dans la gorge).
Tant bien que de mal, j’essaie jour après jour, d’appliquer ce concept, d’apprendre à surfer sur la vague afin d’être un jour, en mesure de valser avec l’ennemi ultime de ma vie, et qui le sera certainement jusqu’à la toute fin.
Par: Émilie Sauvé
Sööma est une entreprise bilingue qui fonctionne en anglais et en français. Nous fournissons des articles de blogue, des recettes et des articles de diverses sources qui sont parfois écrits en anglais et parfois en français. Si vous vous sentez incapable d’accéder à un article ou à un sujet spécifique en raison d’une barrière linguistique, veuillez nous contacter à info@sooma.ca et nous serons heureux de traduire le contenu pour vous.