Manger. Un mot banal, mais qui peut s’avérer tellement complexe à la fois. L’acte de se nourrir peut être un moment joyeux et remplit de découverte pour certains, tandis qu’il se transforme en véritable cauchemar pour d’autres. Pour ma part, du haut de mes 25 ans, j’ai expérimenté les deux situations.
J’ai toujours été une personne ayant un bon appétit et je suis le résultat de deux parents qui ont la dent sucrée. Ainsi, les bons repas et les desserts sont fréquents sous le toit des Legault.
Les soupers de Noël où la table est remplie de divers plats tous plus succulents les uns que les autres ainsi que les sorties au restaurant avec mon copain ou mes amies sont tous de doux souvenirs gravés dans ma mémoire. Sans compter ma passion pour les voyages où nombreuses sont les fois où la nourriture m’a permis de découvrir une nouvelle culture, le premier exemple qui me vient à l’esprit est mon cours de cuisine en Thaïlande. Je peux maintenant dire que les recettes de Pad Thaï québécoises peuvent aller se rhabiller! Pour moi, le moment destiné au repas est synonyme de partage tout en étant l’excuse parfaite pour se rassembler et rattraper les derniers événements marquants ou anodins dans la vie de mes proches.
L’année où je suis devenue majeure au Québec, cette perception si positive de tout ce qui entoure l’action de manger s’est noircit en l’espace d’une semaine. J’ai commencé à avoir des gros maux de ventre, de cœur, puis l’appétit n’y était plus. Une nuit, c’est une douleur au bas du ventre que je peux difficilement décrire qui m’a réveillé. Mon premier réflexe a été de croire qu’il s’agissait d’une crise d’appendicite et c’est avec le peu de force qu’il me restait que je suis allée réveiller mes parents pour qu’ils m’accompagnent à l’urgence.
Arrivée à l’hôpital, je passe une panoplie de tests, allant de la prise de sang à l’échographie. Mon diagnostic initial n’était pas faux, en quelques heures l’urgentologue avait conclut au même résultat que moi et mon nom avait été ajouté pour la salle d’opération le jour même. Encore aujourd’hui, je n’arrive pas à comprendre la raison et probablement qu’il n’y en a pas, mais le médecin qui était en charge de mon cas cette nuit-là a décidé de passer un dernier test, le scan. Ce fameux examen où j’ai dû m’étendre de tout mon long sur une planche de métal froide quand le seul désir que je voulais était de me mettre en boule – position dans laquelle mon mal semblait le moins pire.
Les résultats de ce dernier test ont présenté un tout nouveau pronostic. Ce n’est plus l’urgentologue qui est apparu sur le côté de ma civière, mais un gastro-entérologue. Il m’a annoncé qu’il y avait de fortes chances que mes douleurs étaient causées par le développement de la maladie de Crohn. C’est avec une prescription de cortisone pour réduire l’inflammation à la main que j’ai pu retourner à la maison. Les semaines qui ont suivi n’ont pas été de tout repos, je suis retournée à l’hôpital pour passer une colonoscopie dans le but de confirmer le diagnostic, puis j’ai fait la rencontre d’une nutritionniste qui m’a exposée l’interminable liste des aliments qui sont déconseillés.
« Cette journée-là, j’ai pris conscience que je ne pouvais plus manger aussi intuitivement que par le passé et c’est cette maladie qui m’a amené à surveiller les aliments que j’ingère pour la première fois ».
Les années qui ont suivi ont été difficiles, j’ai fait plusieurs crises qui se sont toutes terminées par un séjour à l’hôpital. J’ai également dû m’adapter à un régime alimentaire où grains, pelures et fibres pouvaient être mes pires ennemis. Par chance, le gastro-entérologue qui me suit depuis le jour 1 a su trouver un médicament qui me convient et ça fait maintenant 3 ans que la maladie est contrôlée.
Parmi toutes ces périodes grises, je suis tombée en amour avec les longues distances de course à pied, en commençant par l’épreuve du demi-marathon puis finalement le fameux 42,195km. J’aime croire que c’est ce sport qui m’a sauvé et qui a ramené ma vie plus rose. Au début, je pratiquais la course à pied de façon purement récréative. Avec les années, mes chronos ont diminué et j’ai voulu tester mes capacités. J’ai alors pris un entraîneur et j’ai commencé à m’intéresser aux grandes vedettes du marathon. Un sujet qui revenait souvent était leur nutrition. Étant de nature curieuse et perfectionniste, j’ai commencé à faire des recherches pour comprendre comment mon alimentation pouvait contribuer à mes performances.
« C’est ainsi que les chiffres et les calculs sont entrés dans mon quotidien » .
Je voulais à tout prix avoir suffisamment de glucides avant et pendant mes entraînements, je négligeais que très rarement mon apport en protéines dans les heures qui suivaient un gros entraînement. Évidemment, les lipides n’étaient pas exclus de tout ce casse-tête, je devais choisir les bons et contrôler la quantité. Toutes ces nouvelles informations et leur mise en applications m’ont épuisé. J’ai pris conscience que la planification de mes repas était maintenant une tâche au même titre que de faire la vaisselle ou mon lavage. Durant la période des repas, j’étais un vrai robot, je mangeais les quantités planifiées sans manger ni plus, ni moins.
Heureusement, cette période n’a durée que quelques mois. J’ai rapidement pris conscience que ce mode de vie ne pouvait pas être éternel si je voulais rester saine d’esprit. J’ai alors pris la décision de mettre un terme à tous ces calculs, mais la coupure ne s’est pas produite du jour au lendemain. Les chiffres étaient ancrés dans ma mémoire et j’avais appris à connaître les valeurs nutritives de plusieurs aliments. C’est avec le temps que j’ai appris de nouveau à écouter mes signaux de faim et de satiété.
Aujourd’hui, en écrivant ces lignes, je suis fière de dire que tous ces chiffres ne me hantent plus et que je retrouve progressivement ma façon intuitive de m’alimenter. L’exposition de ces bribes de ma vie m’apporte à me questionner sur les raisons qui m’ont poussé vers ces solutions que je considère extrêmes. D’abord, j’ai la forte opinion que la société d’aujourd’hui, où l’apparence et la quête du succès sont au cœur des discussions, est une partie de la réponse. Une panoplie d’individus ont leur avis sur la façon de s’alimenter et sur les trucs pour le faire de la meilleure façon qui soit. De mon côté, j’ai appris à avoir un esprit critique sur les propos que je reçois et de déterminer s’ils s’accordent avec mon mode de vie. Après tout, se nourrir fait partie des besoins essentiels de l’être humain, alors pourquoi rendre la chose si complexe ? Les aliments ont chacun leurs belles couleurs, alors laissons-les colorer notre vie !
– Élissa Legault –