Depuis l’adolescence, j’ai été passionnée par le patinage artistique. Après avoir vu Jamie Salé et David Pelletier injustement écartés en 2002, j’ai compris que ce sport glamour comportait une pression sociale immense. Dès 13 ans, je percevais les messages toxiques autour de l’image corporelle, et très vite, le jugement de mon propre corps est devenu un moteur de souffrance.

Un talent valorisé, mais à quel prix ?
Enfant, j’adorais tous les sports. À 8‑9 ans, mes parents m’inscrivent au CPA de Rivières-des-Prairies. Très bonne technique, je gagne des podiums, mais je suis aussi la cible jalouse de certaines personnes. Dans un vestiaire, la présidente du club m’a même humiliée pour favoriser sa fille… malgré tout, je remportais l’or.
Au secondaire, je rentre dans un programme sport-étude intense (30‑40 h/semaine). À 15 ans, je rejoins l’élite québécoise du patinage artistique. Je me distingue techniquement, mais mon physique devient un point de critique au sein de l’équipe. Plus je travaillais, plus j’entendais que j’étais « trop musclée » pour être belle. Ce discours constant a infiltré ma tête, jusque dans ma manière de me voir.

La dérive vers le trouble alimentaire
L’adolescence accentue la comparaison sociale. Les remarques sur mon corps me poussent à croire que mon succès dépendrait de ma minceur — un mensonge que j’ai finalement intégré. Après une blessure, un environnement scolaire incertain et un divorce familial, je m’effondre. J’ai alors pensé que je n’étais rien sans le patinage. Le contrôle se concentre sur mon corps. Et c’est là que le trouble alimentaire entre en scène : un mélange de boulimie, d’anorexie, de purges… un rituel quotidien qui est devenu mon réconfort.
Je perdais presque tout contact humain, épuisée émotionnellement et physiquement. Je pensais que mourir coûterait moins cher que continuer à lutter. Pendant près de trois ans, je vis dans ce cercle destructeur.
Le tournant et le début d’une renaissance
Un matin, je me pèse, puis je me regarde dans le miroir. C’en est assez. Je décide de me sortir seule de cette spirale. Avec mes propres moyens, je consulte un psychologue et un médecin spécialisés en troubles alimentaires.
Aujourd’hui, à 33 ans, je peux dire que je ne suis plus une victime, mais une survivante. Le sport m’a forgée : persévérance, discipline, résilience. Mais mon rapport à l’image reste fragilisé. Mon « problème alimentaire » est toujours présent par moments, surtout quand mon bonheur s’effrite.
Apprendre à surfer sur la vague
Est-ce que je vais guérir complètement un jour du trouble alimentaire ? Je n’en suis pas certaine. Ce qui compte aujourd’hui, c’est de reconnaître que ce chemin est long, sinueux, imparfait. C’est d’apprendre chaque jour à écouter mon corps, à apprivoiser ma voix intérieure, à accepter mes limites sans honte.
La société impose une image standardisée, mais je choisis une autre voie : celle de la paix avec mon propre fonctionnement, à mon rythme. J’essaie de surfer sur la vague, d’emprunter un équilibre fragile entre bienveillance, conscientisation et action. Mon but n’est pas la perfection… juste un peu de paix.
Écrit par: Émilie Sauvé